Ça faisait bientôt un an qu’elle vivait comme ça, entre ses murs, seule du matin au soir, du soir au matin. Seule pour dormir. Seule pour manger. Seule pour trainer sa vieille carcasse entre les deux pièces qu’elle occupait au rez-de-chaussée. Seule pour tuer ce temps si long.

Avant, elle avait des tas d’activités. Elle sortait presque tous les jours. Elle rendait visite à ses amies ; elle participait à toutes sortes d’ateliers organisés pour le troisième âge. Il y avait des voyages, aussi. Des sorties culturelles. Elle avait toujours de quoi s’occuper l’esprit ; de quoi éviter d’aller remuer les eaux troubles du passé. Et puis, elle avait de la compagnie, aussi. Ça aide pour tromper l’absence.

Avant, elle trouvait qu’elle ne s’en sortait pas si mal ; qu’elle parvenait à vivre sans lui, malgré tout. Qu’elle parvenait à remplir un tant soit peu le vide qu’il avait laissé. Cinquante ans d’amour, ça ne s’efface pas comme ça. Cinquante ans de vie commune qui avaient pris fin de manière abrupte. Elle avait lutté âprement pour ne pas perdre le goût de vivre.

Et puis, ce fichu virus était arrivé, qui avait brisé en mille petits morceaux son fragile équilibre. Plus de sorties, plus de voyages, plus d’ateliers, plus de visites… La solitude, tout le temps. Ses quatre murs et rien d’autre.

La télé pour seul horizon, et le téléphone de temps en temps, pour garder un semblant de lien…

Pourtant, elle ne voulait pas se laisser aller. Il fallait continuer, remplir de belles choses toutes ces heures creuses. Alors, elle s’occupait. Elle cousait. Elle brodait. Elle faisait du crochet… Elle s’était mise à fabriquer des masques aussi, pour une association.

Et puis, elle avait recommencé à jardiner, dans sa petite cour. Quand il était là, c’était surtout lui qui s’en occupait ; qui plantait, arrosait, bouturait… C’était lui qui avait la main verte. Elle, elle le regardait faire par la fenêtre de la cuisine. Elle lui souriait quand il se relevait de ses plates-bandes, les genoux noircis, les mains pleines de terreau, heureux comme un pape dans son minuscule jardin urbain.

Avec le confinement, elle avait recommencé à passer du temps dans cette cour. Elle avait recommencé à prendre soin des fleurs qu’il avait plantées autrefois. Et contre toute attente, ça lui avait fait du bien. C’était un peu comme s’il était là, tout près d’elle. Ça lui donnait de la force pour continuer. Un jour à la fois.

Les murs, l’isolement, la solitude, elle ne voulait pas y penser. Elle ne voulait pas les voir. Ses yeux usés, elle prenait soin de les poser sur de jolies choses : le petit coin de paradis qu’il lui avait aménagé au fil des années ; les roses et les fuchsias qu’il lui avait laissés.

On ne l’attendait plus et finalement, la voici : ma modeste participation au Challenge Écriture de Marie.

La contrainte de cette semaine #3 était d’écrire un texte à la troisième personne à partir de l’arrière-plan de cette photo :

Photo par Marie Kléber

11 réflexions sur “Au jardin

  1. Si on l’attendait Marie…
    C’est triste et en même temps il y a ces petites graines d’espérance, ce renouveau en toile de fond, qui donne envie, qui donne l’élan de vivre encore un peu.
    Merci beaucoup pour tes mots toujours si touchants!

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    1. C’est vrai que c’est triste. Je m’interroge souvent sur ces personnes âgées qui se retrouvent totalement seules. Je ne sais pas comment elles trouvent encore le goût de mettre un pied devant l’autre. Pour ces personnes, la crise sanitaire doit être un vrai cauchemar. Malgré tout, j’ai voulu garder une note positive avec un personnage optimiste. Se focaliser sur le beau et faire abstraction du reste, c’est ce que m’a inspiré ta très belle photo.

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      1. Bonjour Marie. Je me porte bien malgré cette pandémie qui semble perdurer. Comment vont les choses de ton côté? Mes études avancent lentement mais j’ai tout de même l’espoir de soumettre ma thèse d’ici la fin de l’été si tout se passe bien. 

        Aimé par 1 personne

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